Scénario inachevé (vraiment
inachevé)
Elle
est dans la toute jeune vingtaine, elle est
étudiante dans un autre pays que le sien,
dans un domaine scientifique. Elle est
plutôt sérieuse, sûre d'elle. Une
personnalité pétillante, sait où elle s'en
va, n'a pas de problèmes existentiels, liens
familiaux solides, des amis de son âge, tout
va bien. Bien qu'elle se sente un peu seule.
Pas de groupe de support dans son
environnement immédiat.
Il
est dans la quarantaine, avenir derrière
lui, pas très brillant (son passé) mais
tout de même réussite relative. Mène ses
affaires sans trop de convictions... ne s'y
intéresse pas vraiment. Sa compagnie est
appréciée, il privilégie toutefois la
solitude, l'introspection. Pas celle qui
consiste à faire des bilans, celle qui
consiste à découvrir d'autres avenues... Il
y a eu une brèche quelque part qui lui a
ouvert la porte à autre chose, mais les
convictions du lendemain s'estompent quand la
raison reprend le dessus, les souvenirs aussi
s'estompent et la quête continue.
Un
océan les sépare.
Ils
sont entrés en contact à travers le
courrier électronique. Il lui a envoyé un
message bizarre... elle lui répond un peu
sèchement... il lui retourne un message
franchement méchant... quiproquo. Quelque
part les messages se croisent, elle lui
envoie un message d'apaisement. Ils
s'écrivent des gentillesses, mais là c'est
un peu la routine, ennuyeux. Sans aucune
conséquence... les mois s'écoulent. Un beau
jour pour une raison somme toute anodine, le
ton change, il y a de l'agressivité de sa
part à lui. Elle lui répond dans son style
punché et direct... en attaquant sa
personnalité. Il lui répond... pas trop
gentil...
Bref
silence.
Il
lui écrit un message intitulé « Scénario
inachevé »
-
Début du scénario envoyé par l'homme -
Ce
scénario ressemble beaucoup à l' «
histoire » de leur relation épistolaire.
Cela l'inquiète un peu, elle y voit une
sorte d'intrusion dans sa vie privée. Elle a
un peu peur d'être mêlée même en
imagination à des choses qui concernent cet
homme. Elle ne le connaît pas. Elle ne
l'aime pas tellement. Non pas qu'il lui fasse
peur, mais elle le perçoit comme arrogant,
manquant tout à fait d'empathie, et puis,
elle n'a pas besoin de lui. Son environnement
lui suffit. À peine l'intrigue-t-il un peu.
Pour cette raison elle ne lui envoie pas
encore le point d'exclamation qui (une
convention qu'il lui a proposé) elle le
sait, lui interdira de lui écrire d'autres
lettres.
À
partir de là, lui seul lui écrit, il lui
raconte des choses qui ne font pas du tout
partie de ses propres préoccupations. Elle
lit à peine. Mais garde ses messages, sans y
penser. Dans ses messages une sorte de
leitmotiv, une sorte de discussion
récurrente qu'il tient avec des amis à lui.
Ils argumentent sur... Ce ne sont pas des
messages qu'il lui destine à elle, plutôt
une sorte de réflexion intérieure... de
comptes rendus, mais il les lui poste
régulièrement.
Elle
comprend tout de même qu'il a l'air de
l'aimer bien, sans doute à cause de sa
franchise, de son caractère assez emporté,
direct. Il sait qu'elle est intelligente...
il aime le genre d'éducation qu'elle a
reçue, elle est un peu frondeuse mais a le
respect de ce qu'elle perçoit (peut-être à
cause de l'âge) comme une sorte
d'ascendant... (le mot n'est pas parfait...
à revoir). Il doit
l'imaginer dans le style de ces jeunes filles
qui s'habillent de façon classique, dans les
bleus marine... peut-être jupes plissées,
cheveux lisses sombres, à peine aux
épaules, mais elle peut être tout à fait
différente, elle lui a dit qu'elle a les
yeux noisettes... tout cela n'a pas
d'importance, il saisit (en partie) sa
personnalité, et il développe une certaine
affection pour elle. Il aime aussi qu'elle le
remette à sa place. Il sait qu'il provoque,
et sa façon à elle de réagir est bien. Ni
mesquine, ni trop exagérée, si,
peut-être un peu... elle dramatise un peu.
Mais il aime cette amplification. N'est-ce
pas la le terreau du sublime... la
dramatisation.
Un
long week-end gris, ennuyeux, esseulée, un
peu triste, désuvrée, elle passe
distraitement à travers les messages, et
là, elle commence a voir cet homme sous un
éclairage plus sombre mais aussi plus
attachant. Elle n'est sûre de rien. Elle
sait qu'il est assez intelligent pour créer
de toute pièce un personnage. Qu'il a
peut-être décidé de se livrer sur elle a
un petit jeu de séduction détournée, soit
par désuvrement soit par une sorte
d'esprit malsain, peut-être même est-il
sincère? elle se questionne. Elle est très
lucide et sur ses gardes.
(Sur
plusieurs mois)
Dès
lors, elle est impatiente de lire son
courrier électronique. Elle délaisse un peu
ses camarades qui le lui reprochent. Elle
s'enferme un peu dans son monde intérieur.
Et se met à rechercher des lectures qui
concernent ce dont elle croit qu'il parle...
comme si, lui, savait des choses... Elle veut
vérifier ou corroborer ce qu'il dit.
Échange
de courrier, elle le questionne (peut-être).
Elle
sombre dans une sorte d'obsession...
Un
beau jour, ayant obtenu son numéro de tél.
elle décide de l'appeler...
juste
pour entendre sa voix.
Deux
coups.
Oui
allô....
Qui
est à l'appareil...
Elle
reste figée, ne dit rien...
Qui
est a l'appareil...
Clic.
Elle
est tout a fait troublée par cette voix qui
semblait sortir d'outre-tombe. Presque
gutturale, métallique et douce à la fois.
En tout cas, envoûtante.
Oui,
allô, qui est à l'appareil, qui est à
l'appareil, les mots résonnent...
Elle
avait bien déjà imaginé l'environnement de
cet homme... mais là, elle
a
clairement l'impression qu'il est d'un autre
siècle. Il y a eu court-circuit dans
l'écoulement du temps c'est certain.
Notes
:
Pour
ne pas tomber dans le piège de l'écran
ordinateur... les messages
seront
traités en voix off (surtout pas en collage
sur le visage qui lit un écran) faire preuve
d'imagination...
Le
focus sera les changements dramatiques
dans la personnalité de la jeune femme. Joie
de vivre, un certain égoïsme naturel,
candeur, vers le tourment intérieur,
désintéressement des choses qui faisaient
son bonheur; obsession; remise en question
des valeurs; dérive de la raison.
Fond
: réalité (perçue selon nos sens) et
réalité profonde, invisible pour les yeux
(l'essentiel est invisible pour les yeux...
St-Ex.) perçue uniquement par ceux qui ont
bénéficié d' (ou subi) une faille dans
l'armure que constitue la raison (instrument
de fermeture/par opposition à l'intuition
qui est une porte ouverte).
Point
saillant (d'un point de vue visuel et
dramatique) : Dans l'un des messages, il
dit quelque chose d'un peu nébuleux.. (rien
d'anormal chez lui) mais en lisant entre les
lignes elle croit comprendre qu'il sait des
choses sur elle... qu'elle ne lui a jamais
dites. Moment de panique.... référence à
l'aspect visuel de sa chambre. Elle retourne
chez elle en catastrophe... monte quatre à
quatre les escaliers, ouvre la fenêtre avec
force, brise un carreau, scrute les fenêtres
d'en face... de l'autre côté de la place.
Il a fait allusion au cadre qui fait face à
la fenêtre... posé là tout récemment.
Calcul des angles... d'une seule fenêtre en
face, on aurait pu voir ce cadre. Elle
hésite... vérifie la serrure... peut-être
quelqu'un est-il entré... Elle ira faire
enquête en face le lendemain, il est déjà
tard... encore fébrile, elle éteint la
lumière.
Elle
finit par avoir accès à la pièce qui fait
face à sa chambre... petit hôtel où l'on
loue à la semaine... pas tout à fait
sordide mais pas très rassurant. Elle est «
gonflée ». Passe discrètement la
réception... monte les étages, repère la
pièce (elle avait calculé le nombre de
fenêtres de l'extérieur). Anxiété et
détermination à la fois. La porte n'est pas
fermée à clef.
Elle
pousse, entre...
On
entrevoit de dos un homme assis... qui fait
face à la fenêtre... il ne
bouge
pas.
Elle
est très tendue...
Elle
dit : Monsieur
Il
ne bouge pas...
-
Je sais qui vous êtes...
Il
ne bouge pas...
Elle
s'avance, contourne la chaise... le plancher
craque...
Il
dormait, il se réveille...
Il
la regarde avec un sourire niais. Clairement
la personne est handicapée. Elle est
confuse... s'excuse... et s'enfuit de la
chambre...
(Les
obsessions intérieures masquent et
dénaturent le réel... plus rien
n'est
réaliste)
Sort
en trombe...
Dehors,
elle éclate de rire... un rire qui dépasse
le rire.
Elle
a du mal à composer avec le quotidien. Mais
son esprit cartésien solide la force malgré
elle à décider de mettre fin à cette «
relation ». Sinon elle craint que sa dérive
l'entraîne... elle sait le danger. Mais son
monde n'est plus le même. Il est plus simple
et compliqué à la fois. Les enjeux du
quotidien, études, carrières... sont
devenus dérisoires. D'autres, mal définis,
nébuleux, mais majeurs, elle le ressent,
hantent son esprit.
Elle
lui envoie le point d'exclamation!
-
Fin du scénario envoyé par l'homme -
Après
avoir lu le scénario, elle lui envoie le
point d'exclamation!
Passe
la vie...
On
la retrouve 10 ans plus tard... sur un
plateau de cinéma... elle dirige le tournage
de la dernière séquence d'un film. En fait
cela se passe dans un cinéma... la
scène : Le plan d'un homme de dos,
assis à la première rangée. Il regarde
défiler un générique...
Note
: Visiblement la jeune femme a changé
d'orientation de carrière, elle est même
devenue une cinéaste accomplie... Le
scénario qu'elle vient de mettre à
l'écran est inspiré de celui que lui avait
envoyé l'homme à l'époque.
3
mois plus tard...
Première
du film...
Générique...
Les
invités, les médias, semblent avoir aimé.
Ils
quittent la salle...
Elle,
est assise... en haut, épuisée, elle laisse
la salle se vider, et essaie de reprendre
possession d'elle-même avant d'aller
affonter la presse.
Un
regard vers la scène... première rangée...
seul, un homme.
Stupeur!
Elle
se lève et se dirige, lentement, anxieuse,
vers lui.
Il
est assis... et fixe encore l'écran.
La
caméra descend l'allée dans la
pénombre... fixée sur sa nuque.